Naïm Belkabir

Il y a des sorciers, cachés dans le désert. Une caste nomade qui vivent exclusivement au creux des dunes, presque impossibles à trouver. Beaucoup parlent de rumeurs à leurs propos, réfutent la véracité des récits et des on-dit ; on dit à leur propos qu'à force de se faire tanner par le soleil, leur peau a le goût du sable, et leur regard celui de la pierre. On dit que les tempêtes ont ravagé leurs poumons, que ceux-ci sont devenus sabliers et leur voix pleine de gravats. On les dit maîtres des poisons, des vieilles magies hébraïques, et que leurs animagis sont tous des cobras, ou des scorpions. On les dit sauvages. Sans attaches. Farouches. Et puis que leur sang n'est même pas rouge. On dit tellement de choses, mais seule la moitié est vraie, sachez-le ; Naim le sait, car il était l'un d'eux. Alors c'est vrai, les âmes de ces hommes et de ces femmes ne sont pas des plus tendres. Toutes sont sombres, salies de suie, parfois presque noires, opaques. Mais au sein de la farqa, de la caste, sachez que personne ne vous trahira. Jamais. Car ce sont eux, les traitres. Eux, les paria. Eux qu'on liquiderait, si on avait le choix. C'est là bas qu'il a grandi. Il est de ces gamins qui ont grandi bien trop vite, à qui on a arraché leur innocence avant qu'ils perdent leurs premières dents ; mais c'est comme ça que les choses sont, lorsqu'on nait dans le désert. Il est le fils de Naha, une puissante sorcière de Fès qui avait refusé le mariage qu'on lui imposait à un autre homme que celui dont elle était amoureuse et qui, par colère, avait fini par le tuer ; elle dit qu'on l'avait retrouvé avec des fourmis dans le ventre, grignoté de l'intérieur. Et Naha était partie dans la nuit, avant qu'on exerce sur sa personne les châtiments promis. Elle était venue là, dans le désert. La farqa l'avait trouvée, elle, et puis le bébé qu'elle avait dans le ventre. Naha, elle n'était plus jamais repartie. Pour quoi faire, elle disait toujours ? On ne veut pas de moi ailleurs. Ici je suis libre. Je ne me marie pas. J'ai la liberté de me défendre de ceux qui me causent du tort, sans finir six pieds sous terre. Je suis libre. Je les déteste, tous les autres. Ici je suis bien.

Et c'est dans cette optique qu'elle élève alors Naïm. Naïm fils d'un étranger, fils de personne. Fils du désert. Et il aurait pu vivre éternellement là-bas, si toutefois une autre tribu ennemie n'avait pas décimé la sienne, un soir de juin. Tous étaient morts, sauf lui, qui était si petit qu'il avait réussi à se dissimuler sans qu'on puisse le remarquer ; au petit matin, lorsqu'ils sont partis, Naïm a juré de se venger. Il n'avait que dix ans, et pourtant, il en connaissait déjà plus à propos des vieilles magies hébraïques que la majorité des adultes de son pays. À propos de la perte, aussi. De la solitude. Rejoignant le Fès natal de sa génitrice, il vécut pendant une année entière dans les rues de la ville, se servant de ses quelques connaissances en magie afin de survivre dans l'hostilité d'un monde qu'il ne connaissait que très mal – et auquel il était parfaitement étranger. Il développa un caractère foncièrement indépendant, et profondément méfiant vis-à-vis de la nature humaine, vivant sans jamais se reposer sur la confiance, ou sur les autres. Au jour le jour – toujours. Mais à ses onze ans, il résolut cependant de rejoindre Uagadou à l'image des autres enfants sorciers de son âge ; pas par volonté de trouver un endroit stable et sûr dans lequel vivre, mais pour apprendre. Apprendre le nécessaire afin d'un jour, comme il se l'est promis, se venger de ceux qui avaient tué la seule famille qu'il avait connu. Curieusement, il ne parut pas avoir de difficulté particulière pour tisser des liens avec les autres à l'école, ou du moins en apparence ; mais sachez que tous ces liens-là ne sont que du vent, du néant, basés sur des mensonges éhontés. Car Naïm, il prétend venir d'une famille tout ce qu'il y a de plus normale, il accumule les mensonges avec une agilité déroutante, se construisant lui même un masque des plus opaques – inattaquable. Vous le pensez désinvolte, nonchalant, peut-être même parfois charmant ? Balivernes, il n'est que méfiance, perpétuellement sur ses gardes, bien décidé à ne jamais donner à qui que ce soit la moindre prise sur lui même. Et dans le mensonge, il se complait. L'art de leurrer lui plait. Car tant qu'il arrive à faire croire à ses histoires, Naïm se sent en sécurité.