Mara Hargreaves

Mara est née dans le froid, dans une petite chambre aux fenêtres brisées, où la température était inférieure à zéro. Qui sait comment le nourrisson a réussi à survivre, ou si cela a joué un rôle dans la disparition de la mère. Le destin de celle qui l'a enfantée, Mara ne le connaît pas ; son géniteur n'a jamais voulu lui dire pourquoi elle n'avait jamais connu sa mère. Son truc, à son père, c'était de passer ses journées et ses nuits à se noyer au fond de ses verres d'alcool et à dépenser gallion sur gallion dans des paris perdus d'avance, laissant sa fille entre les mains réticentes de ses voisines. Jusqu'à l'âge de neuf ans où, faute de meilleure offre, Mr Hargreaves n'a d'autre choix que de vendre sa fille comme domestique pour rembourser ses dettes. « Tu seras plus heureuse là-bas, gamine », ont été les derniers mots chagrinés qu'il lui a adressés, avant que l'on ne la transporte jusqu'au sinistre manoir de son nouveau patron. Et si la gamine n'avait pas été heureuse auparavant, elle ne le serait sûrement pas davantage désormais. Mara s'adonne consciencieusement à ses tâches, Mara récure le sol, Mara fait la cuisine, Mara tâche de survivre. Mara est Cendrillon, et sa marâtre un vieux Cracmol sadique et à moitié fou, fasciné par le don de Métamorphomage de sa domestique, qui la terrifie. Tous les soirs, lorsque tout le monde dort à poings fermés, son maître la convoque dans son bureau pour la faire danser. Il scande : « Danse, danse, danse et transforme-toi, transforme-toi sans t'arrêter ». Et sur la cadence lugubre de ses applaudissements et de son rire aux accents hystériques, Mara danse, Mara se transforme jusqu'à l'épuisement. Jusqu'à ce que son corps lâche et que, contrarié plus que de raison, son maître ne lui fasse payer son affront à coup de fouet.

Malgré quelques tentatives de fuite avortées, c'est peu de temps avant son entrée à Poudlard qu'elle décroche enfin son ticket pour la liberté, après avoir planifié son évasion de A à Z pendant des mois. Elle se rend là où personne ne penserait jamais à trouver une fillette : une maison de joie clandestine du Royaume-Uni. Elle s'y cache au nez et à la barbe de tous pendant plusieurs semaines, avant d'être finalement repérée par la patronne de l'établissement qui accepte de la garder jusqu'à son entrée à Poudlard. Son minois et ses traits d'esprit lui valent d'être adoptée par l'entièreté de la maisonnée, et en particulier par Angelice. On la surnomme « l'enfant de la Maquerelle ». Durant ses années de scolarité dans les rangs des serpents, Mara prend pour habitude de revenir tous les étés auprès de cette famille loufoque, incongrue et indécente ; la seule qu'elle porte vraiment dans son cœur. Dès ses quatorze ans, elle décide de devenir elle-même fille de joie pour aider la maison à tenir la tête hors de l'eau. Ses premières tentatives sont horrifiantes, mais se facilitent au fil des années avec l'expérience et l'aide d'Angelice. À Poudlard, les rumeurs se répandent comme une traînée de poudre, mais les remarques grivoises et attaques perfides de ses camarades n'ont jamais vraiment eu d'emprise sur elle. On a toujours l'impression qu'elle flotte, Mara, loin de toute réalité. La douleur, la honte, la rage ? Des sentiments qu'elle a depuis longtemps déjà exorcisé.

À sa sortie de Poudlard, elle remise ses lingeries affriolantes au placard ; elle n'a pas honte d'avoir été ce qu'elle a été, mais elle ne sera pas une prostituée toute sa vie, elle se l'est promis. Elle se fait embaucher au Casino du Paon par Isla Wagner, amie de sa mère de substitution. Son rôle est simple, néanmoins follement exaltant : battre des cils, flatter les joueurs et s'assurer qu'ils mettent de grosses sommes sur le tapis, le tout en changeant d'apparence chaque soir et en se faisant passer pour une cliente différente. Mara a l'habitude des hommes, elle sait comment les manipuler, les emmener exactement où elle le désire, mais chacun d'eux est un nouveau défi, un challenge à relever. Il n'y que dans ces moments qu'elle se sent vraiment vivante ; sans compter ses missions pour l'Aube Noire, pendant lesquelles la Métamorphomage met son don à contribution. Son don ; c'est sur lui que repose toute sa carrière, mais c'est aussi la représentation de son propre Enfer. Car il lui arrive parfois de prendre l'apparence du vieux Cracmol, sans pouvoir contrôler la transformation. Des moments d'hystérie où les émotions enfouies de Mara, toujours lisse et impénétrable, ressortent en se multipliant par cent ; elle a même essayé une nuit de se jeter de son balcon pour se soustraire au souvenir intolérable de son ancien maître. Traumatisme d'enfant gravé dans un cortex d'adulte, sous d'épaisses couches de désensibilisation.