Katla Ernstsdóttir

Katla, elle a l'hiver qui parcourt ses doigts. Elle aime à conter qu'elle est née entre deux glaciers et que c'est là la cause de sa froideur. Explication poétique et évasive pour ne pas avoir à dire que pour elle, le principe même de l'existence lui semble dénué de sens. La vérité, c'est que ses premières années n'ont pas été glaciers mais glacées et passées dans les plaines et les montagnes islandaises. Que ses jeux d'enfant consistaient à errer à travers la lande pour pouvoir s'occuper de la ferme de ses parents. Ses mains usées ont dû apprendre à s'endurcir, son être à se raffermir. Autour d'elle, tout lui semble alors surfait ; les gens, les mots, les images qu'elle voit passer lorsqu'on lui évoque les promesses qui se murmurent dans la capitale. Elle se sent riche de ce qu'elle a, même si l'on tente de lui inculquer qu'ils ne sont rien, ou seulement des êtres bourrus, des paysans dont le pureté du sang n'a pas le pouvoir de leur apporter un quelconque intérêt de la part du monde extérieur. Ils existent sans être assez et sont de ceux que l'on refuse d'écouter - qu'importe si dans leurs esprits ils ont mille et une idées. Très tôt, l'incompréhension de Katla se transforme en colère. Si on veut la reléguer au rang des invisibles, elle deviendra tout le contraire. Ainsi, à dix ans, Katla est déjà déterminée : pour lutter contre ceux qui veulent qu'elle disparaisse, elle va apprendre à se battre, non pas à la fourche, mais grâce à ses mots, à ses idées qu'ils ont trop longtemps voulu apaiser.

A Timmiaq, Katla se fait remarquer par sa volonté à toujours vouloir être la meilleure. Elle se sert de ses heures passées dans les montagnes de chez elle pour escalader le chemin périlleux qui mène à l'école, puise dans sa force pour grimper toujours plus vite. En classe, elle ne parle pas, elle se concentre pour développer plus de dons que ceux qui sont nés avec une cuillère en or dans la bouche. Katla n'a pas la connaissance des livres, elle ne sait rien alors elle se gave jusqu'à l'épuisement avec l'envie de faire résonner à travers le monde la voix des plus faibles. Son désir de lutte ne met pas longtemps à la faire remarquer et celle qui n'est personne se retrouve seule - quel élève prendrait le risque de mettre en danger sa réputation pour une paysanne qui parle un peu trop ? La réponse porte un nom, ou plutôt un murmure, un frémissement que l'on ne prononce que tout doucement pour ne pas attirer sur soi la douleur d'une mort brutale. Skjærsilden. Approchée, elle préfère pourtant les éviter car dans les traits de ses adeptes, elle voit le sang qu'ils ont pu faire couler. Et puis il y a Ella. Il y a sa façon de formuler les choses, de transformer l'horreur en acceptable. Tel un secret, elle lui dévoile les prémices du mouvement, les objectifs qui ont su le former et les idées de son fondateur, Silas Nygård. A travers ses mots, elle se retrouve et elle succombe. Dans son esprit, les serpents du groupuscules s'installent, se glissent à travers la moindre interstice de faiblesse et en prennent possession. Pourtant, dans son être, il y a cette voix qui lui hurle que son engagement reviendrait à offrir son âme au diable sur un plateau d'argent. Elle sait qu'elle ne possède pas leur violence, qu'elle souhaite seulement sauver l'humanité qui s'effondre et qui écrase ceux qui n'ont rien. Mais cette voix, elle s'affaisse, elle se fait moindre lorsque son regard se dépose sur le monde extérieur. Que vaut son âme si elle peut sauver ceux qui luttent ?

Et puis il y a sa mère, celle qui arrive à la porte d'Hel et dont la vie s'échappe. Celle qui lui murmure, sur son lit de mort, que toute sa vie n'est que mensonges, que son père n'est pas celui qui l'a élevée mais le voisin d'à côté, et qu'à sa suite, elle laisse échapper un dernier souffle, enfin libérée du secret qui habitait son coeur. Est-ce à cause de sa rage, de son désespoir ou bien à cause des serpents qui ont fini par posséder chaque once de sa lucidité ? Elle n'en a aucune idée ; mais c'est bien la tête de sa mère que Katla a finalement porté à Ella. Qu'importe si elle doit prétendre qu'elle l'a elle même achevée. La première étape des rites d'entrée passée, les autres se sont déroulées avec cette même facilité, presque déconcertante. Les créatures qui errent à Ojoy, étape clé du rituel, se sont mêlées à la violence des autres sorciers. Et même si elle tente de se persuader qu'elle n'a pas changé, petit à petit son coeur, se fait glacier.

Pourtant, son être et son esprit semblent être de bien faibles sacrifices, quand il s'agit de changer la société.