Ella Sigursdóttir

Silas Nygård. Ce nom ne vous dit peut-être rien et pourtant, dans les bas quartiers d'Oslo, ce dernier est sanctifié. Hero du dix-neuvième siècle, il fut le premier à faire entendre la voix des plus faibles et à se battre pour obtenir des aides à l'intention des oubliés. Fondateur de Skjærsilden, sa vision utopique mit également un terme à sa vie, lorsque sa douceur fit de lui un indésirable. Comment peut-on faire bouger le monde si l'on n'est pas capable de se battre ? Adepte de la non-violence, ce fut sans lutter qu'il se fit assassiner sur la place publique par son meilleur ami, Ludvik Næss. Son nom fut très vite synonyme de mort lors des premières années précédant sa disparition. Ses proches et ses admirateurs furent massacrés, effaçant petit à petit l'amour d'une population envers son sauveur, sans jamais réussir à le faire oublier totalement. De lui persiste les idées, les envies, la passion d'un peuple pour un homme juste, mais également son sang, à travers les veines d'un bambin que l'on fit disparaître en Islande pour l'éloigner des rumeurs de la capitale norvégienne et pour lui inculquer un mépris envers la faiblesse de son père. Caché, mais pas muselé, c'est sous les paroles de Skjærsilden qu'il fut élevé, tout comme sa fille puis sa petite fille, Ella.

Elle ne connait alors de Silas que ce qu'on a bien pu lui dire, une version altérée de la réalité. A ses yeux, il est un grand homme, un défenseur des opprimés, mais pourtant trop faible pour réussir à lutter correctement. Elle grandi au coeur même du groupuscule, couvée par un mouvement qui préfère la mort aux paroles. Pourtant, durant ses premières années, elle n'a jamais vu le sang couler. Protégée, Ella est gavée de mille et une propagandes, de livres, d'auteurs ayant une vision des choses peu communes, pour mieux l'imprégner de ce courant. C'est à Timmiaq qu'elle découvre et peut enfin faire face à des visions du monde différentes. Elle y perçoit également la fracture entre ceux qui ont et ceux qui manquent -d'argent, de connaissance et surtout d'importance. Elle y rencontre les personnes qui souffrent et ceux qui ne se rendent pas compte qu'ils possèdent trop. Ses observations deviennent des preuves des biens faits de ses apprentissages, et ne font que la convaincre un peu plus. Justicière dans l'âme, elle parle pour ceux qui ne peuvent le faire. Reléguée au rang d'inconnue, elle fait de son mieux pour se faire porte parole de ceux qui n'ont même pas à l'idée qu'ils pourraient être handicapés par leur histoire.

Pourtant, dès sa sortie de Timmiaq, lorsqu'on lui propose de passer les étapes de sélection et de devenir un membre à part entière du groupuscule, Ella refuse. S'ils veulent le soutien que peut lui apporter ses liens avec le bien aimé Silas, elle accepte. Elle peut convaincre, soutenir, parler. Elle peut user de son éloquence pour ramener les foules, mais elle ne peut pas les rejoindre. La vérité, c'est qu'elle a beau être convaincue de leur nécessité, elle est terrifiée par leur violence et la brutalité de leurs actions. Elle est prise entre deux feux ; cet amour du mouvement et cette incapacité à blesser les autres. Son rôle dans l'ombre, en retrait, lui convient alors parfaitement.

Les années passent et ses voyages se font nombreux. Porteuse de la bonne parole, elle est également l'une des rares personnes à connaître l'identité de plusieurs membres de Skjærsilden. Finalement, c'est en Angleterre qu'elle décide de se poser et d'user de son influence pour garder un oeil sur les membres du groupuscule. Dotée de charisme et d'éloquence, Ella fait entrer dans la tête de ses interlocuteurs les idées qu'on lui a inculqué toute sa vie. D'un soutien sans faille pour le mouvement, elle est respectée de la plupart de ses membres, bien que quelques dissidents ne ressentent que du mépris pour celle qui a eu la faiblesse et la lâcheté de ne pas affronter les épreuves. Traître ou adorée, la limite est pourtant fine pour la jeune femme et chaque jour est une menace qui plane au-dessus d'elle. Pourquoi un mouvement prônant la violence devrait-il écouter une femme qui n'a jamais eu de sang sur les doigts ? Sans compter qu'à travers elle, beaucoup revoient les idéaux de son ancêtre et une rumeur ne tarde pas à se propager. Que se passerait-t-il si l'innocente se faisait plus insistante, et commençait à réclamer la place de dirigeante pour reprendre les idées de son arrière grand-père ? Ella est protégée, mais elle le sait : elle doit sa vie à Skjærsilden et ce cadeau peut être récupéré à tout instant.